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Manon selon Clouzot​

​Le mercredi 24 Janvier 2024, en matinée, les élèves de 1ères G1 et G2 se sont rendus à l’Institut Jean Vigo, la cinémathèque euro-régionale de Perpignan, accompagnés par leurs professeures de lettres et de mathématiques, Mme Stoëhr et Mme Goetz. 

 

​​Dans le cadre de l’enseignement du français en classe de 1ère, le roman libertin Manon Lescaut écrit par l’Abbé Prévost en 1731 est à l’étude. Il était alors pertinent de l’étudier sous l’angle cinématographique, notamment sous l’œil du célèbre réalisateur Henri-Georges Clouzot, qui a su transposer l’histoire sulfureuse des deux jeunes amants du XVIIIème siècle en une épopée amoureuse, en France, dans la société corrompue de l’après-guerre, et durant l’exode des juifs en Terre Promise. 

Des élèves captivés par un film de 1948

​L’esthétique de Clouzot a totalement séduit ces jeunes spectateurs, immergés dans le réalisme des situations, les changements de points de vue grâce au jeu efficace de la camera subjective, œuvrant à la manière des diverses narrations du roman original. La peinture en mouvement des caractères et des situations était sublimée par la mouvance expressionniste identifiée chez Clouzot. Loin de les ennuyer, ce maître du film noir a su rendre compte de la complexité des personnages déjà en œuvre dans le roman, et révéler la nature sacrificielle de leur amour, tout en déployant avec énergie les multiples péripéties qu’ils rencontrent sur leur chemin vers la liberté, la rédemption, et finalement la mort et le désœuvrement. 

Un film noir et lumineux

Le talent de Clouzot demeure dans sa capacité à nuancer, à opposer le Bien et le Mal pour mieux montrer quelle pression sociale s’exerce sur les personnages, les condamne, les corrompt.

Ils ont apprécié la peinture d’un Des Grieux sous le masque d’un résistant qui abandonne ses camarades patriotes par amour; et ont pu découvrir Manon sous les traits d’une jeune fille voulant fuir un territoire en ruines, et surtout se libérer du jugement et du châtiment que trop réclament vis à vis des femmes jugées trop légères... Car dès les premières minutes, Clouzot met en lumière les thématiques de la collaboration et de la résistance, du jugement, de la responsabilité, de la liberté et nous met face au libre arbitre. Il nous rend témoin des comportements violents, de l’avidité, de la jalousie menant à la criminalité. Il rend bien compte, comme Prévost, de la puissance de l’amour, de la faiblesse de la chair et marque, dans un dénouement tragique accentué par un espace très symbolique, les spectateurs, touchés par la mort des personnages, violemment. Mort de l’héroïne pourtant si proche du paradis, enterrée dans le désert, mort des innocents tués sans ménagement alors qu’ils étaient enfin parvenus à leur oasis de paix. Ici Clouzot montre la barbarie dans toute sa puissance faisant des innocents ses victimes, qu’ils soient femmes, enfants, vieillards, personne ou presque n’en sort vivant. 

 

Une intervenante de choix

Chantal Marchon, longtemps professeure de cinéma au sein de notre institution et Présidente de la cinémathèque est venue rejoindre les élèves à l’issue de la projection. Elle les a bien évidemment éclairés sur l’esthétique de Clouzot et sur le parti-pris du talentueux réalisateur en proposant une réflexion sur les choix opérés, les prouesses techniques à l’œuvre, et l’exigence de Clouzot dans la direction de ses acteurs. Cet échange a suscité une réflexion critique sur l’adaptation cinématographique, notamment sur la question des personnages créés par Clouzot pour incarner à l'écran ceux du roman, comme Manon, dont le rôle est interprété par Cécile Aubry, tout aussi ange que démon. Surtout Mme Marchon a partagé son point de vue de spécialiste sur l’esthétique expressionniste et ses effets sur le spectateur car en sublimant la tragédie notamment par la technique des cadrages, de la lumière (clair-obscur, excellence des nuances de blanc/noir et gris) et du son, Clouzot réussit à rendre cette histoire universellement émouvante et questionne majestueusement le spectateur sur ce qu’est l’amour passionnel dans une période très violente de notre histoire. Il interroge nos valeurs, nos idéaux, aussi bien que l’a fait Prévost en son temps. 

 

Les élèves ont apprécié le film, parce qu’il a rendu plus concrets et universels les thèmes engagés dans le roman libertin; le fait d’adapter cette Histoire du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut  dans une société moins lointaine, les a plongé dans l'histoire dramatique de la guerre et de l'exil, a ravivé leur intérêt et accentué le phénomène d’identification aux héros/ïne, permettant une mise à distance critique de l’œuvre morale de l'Abbé Prévost. Cette sortie leur a aussi permis de découvrir une institution culturelle que beaucoup ne connaissaient pas et d’apprécier l’accueil qui leur a été réservé par monsieur Julien Avet, chargé des collections films. Ce dernier les a renseignés sur les diverses missions de l'Institut Jean Vigo, l'importance de la mémoire filmique, et bien entendu sur la filmographie de Henry-Georges Clouzot et son importance dans l'histoire du cinéma français. 

 

Dorine Stoëhr, les élèves des classes de 1ère G1 et G2


 

 




Manon selon Clouzot​
Manon selon Clouzot​